Quelques éditos publiés dans le magazine Iwacu.
Interview avec Melchior Mbonimpa, Burundais
Pour 25 novembre 2013, journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes
Un sourire figé sur les lèvres pour masquer la détresse de son regard, Aïcha, répudiée par son mari à qui elle n'a pas pu donner d'enfant, a fui son Maroc natal. Devenue une paria, ses frères ont exercé sur elle, brutalité et sévices. Des droits, elle n'en avait plus, sauf celui de subir. Aujourd'hui, elle s'est réfugiée en France, mais elle n'a rien, pas même un lit. Le soir, pour dormir, elle étale ses habits à même le sol dans une chambre qui lui a été prêtée. Elle ne se plaint pas. La pauvreté n'encourage pas les contacts. Ainsi va sa vie.
Le soldat rentré du Mali
Il y a quelque temps, j'ai rencontré à la gare de Lyon, un militaire, en uniforme, avec Serval inscrit sur sa manche. Il arrivait du Mali et appartenait à la force française d'intervention. Curieuse, je lui ai demandé comment cela se passait sur place. Il a secoué la tête dans un geste d'impuissance et quand j'ai voulu savoir s'il y retournerait, il m'a répondu avec un immense soulagement : "Ah non, surtout pas, pour moi, c'est terminé". Fin de la discussion.
La belle hypocrisie
Dans les familles obstinées et conservatrices (désolée pour ce pléonasme), on ne parle pas d'homosexualité. Ça n'existe pas. Alors, si par malheur l'un des membres choisit d'habiter avec un autre homme, part en vacances avec lui, et après 15 ans de vie commune, achète un appartement avec lui, et bien non, ils ne sont pas gays. Ils sont colocataires !
Ma maison
Œuvre et vie d'Aimé Césaire au Samandari. J'ai eu la chance, quand j'étais à Dakar, de reprendre la maison de sa sœur qui était juriste et dans laquelle il avait parfois séjourné. J'avais aimé et j'aime toujours cette maison empreinte de vie et d'histoire dans laquelle vous ressentez des ondes positives dès que vous franchissiez le pas de la porte.
Ponctuation !
Je viens d'apprendre que l'on peut appeler le point d'exclamation (!), point d'admiration. Alors, dans une dictée le maître dira, "Dieu du ciel que cette femme était laide" ! point d'admiration. Ne serait-ce pas un peu "confusing"
Powerdistance
Et si l'exemple venait de Belgique ? Moins d'avantages pour les têtes couronnées. En voilà une bonne décision qui ne séduit pas le roi Albert II, qui, depuis son abdication reçoit une allocation de 923 000 euros par an (imposables), au lieu de 11,5 millions. Mais n'est-il pas temps, pour les monarchies d'être plus en phase avec la réalité et de mieux mesurer les difficultés vécues par leurs sujets ?
Anniversaire de la centenaire
Hier l'anniversaire d'une dame, vieille, très vieille, 104 ans. Tassée dans son fauteuil, elle préside, sa famille réunie autour d'elle. Son esprit est encore vif et quand elle prend la parole, elle étonne par sa culture et ses références historiques. Mais pourtant je la sens seule. Ses références ne sont plus les nôtres. Elle a vécu la guerre de 14-18, vu l'arrivée de l'électricité, de la voiture, de la radio, de la TV. Quand elle souffle ses bougies (4) à quoi pense t-elle : à sa vie passée ou à sa mort prochaine ?
Mélancholie
Des sons mélancoliques se perdent dans la grisaille d'une ruelle sordide d'Orange. Je tourne la tête, un homme sans doute polynésien, assis devant sa fenêtre, torse nu, joue de la guitare. C'est une journée pluvieuse d'automne. Que fait-il si loin de son île ? Est-il venu comme d'autres s'engager dans la légion étrangère ? Nos regards se croisent puis il continue à jouer de la guitare. Sous ses doigts résonne la nostalgie de toute une vie !
Melancholische Töne verlieren sich in der Öde einer verwahrlosten Gasse von Orange. Ich hebe den Kopf in den herbstlichen Nieselregen und sehe einen Mann mit polynesischen Zügen, der mit bloßem Oberkörper an seinem Fenster sitzt und Gitarre spielt. Was hat ihn von so weit her geführt? Kam er hier her, um in der Fremdenlegion zu dienen, wie so viele? Unsere Blicke kreuzen sich kurz, dann nimmt er sein Spiel wieder auf. Unter seinen Fingern ertönt die Wehmut eines ganzen Lebens.
Les éditos de Véronique Ahyi-Hoesle pour IWACU mensuel
...Avril 2012
N'apprendra-t-on jamais ?
On espérait une seconde moitié du 20ème siècle
plus calme après le génocide arménien de 1915 qui fit plus d'un million de
morts et l'holocauste qui extermina plus de six millions de Juifs, et bien
non ! Comme si les peuples n'apprenaient jamais, les génocides ont
poursuivi leurs actions meurtrières avec l'avènement des Khmers rouges au
Cambodge et les armes chimiques de Saddam contre les Kurdes d'Irak. Mais, comme
si tous ces morts ne suffisaient pas, les années 90 furent marquées par
d'autres exterminations particulièrement sanglantes à Srebrenica en Serbie,
mais aussi, plus près de nous, au Burundi et, bien sûr, au Rwanda.
Qui n'a pas perdu un membre de sa famille dans l'un de
ces deux pays africains ? Qui n'a pas été témoin de la disparition d'un
ami ou de la condamnation à mort d'un voisin pour des considérations ethniques
et enfin qui n'a jamais entendu que des innocents avaient été gommés de la
population d'un coup de machette, exterminés de la pire façon comme si l'être
humain pourtant doté d'intelligence s'était retrouvé dépossédé de ses qualités
humaines et ramené à une bestialité stupéfiante ?
Rousseau pensait que l'homme naissait naturellement bon
et croyait en sa perfectibilité. Que reste-t-il aujourd'hui de sa pensée, lui
qui a marqué ses pairs et dont les écrits, des siècles plus tard, continuent à
être enseignés, lui, dont le tricentenaire va être fêté cette année, en grande
pompe un peu partout en Europe ? Quel enseignement gardons-nous de Victor
Hugo qui, il y a cent cinquante ans, plaçait l'idéal humain au centre de son
œuvre ? Ces écrits prestigieux qui ont influencé la conscience des plus
grands penseurs resteraient-ils sans effet sur la population ? Je refuse
de croire que les œuvres littéraires n'ont aucune emprise sur la pensée et le
comportement humains !
Hérodote écrivait « Personne n'est
assez insensé pour préférer la guerre à la paix; en temps de paix les fils
ensevelissent leurs pères ; en temps de guerre les pères ensevelissent
leurs fils », mais en temps de génocide parents et enfants sont
ensevelis ensemble. Le sang, la haine et la terreur n'ont jamais développé un
peuple et si, malheureusement, ces voyages au cœur de la haine n'ont pu être
évités, méditons sur l'inscription que l'on pouvait lire à l'entrée de la
bibliothèque d'Alexandrie « Trésors des remèdes de l'âme », et
redonnons à la littérature le rôle qui est le sien, à savoir celui de soigner
l'âme, d'apprendre, de comprendre, de transmettre et de pardonner.
...Mars 2012
Écrire au féminin
Edition de mars oblige car elle est marquée
par une date ô combien importante, le 8 mars. Alors, sans être une féministe
forcenée, je ne peux m'empêcher de rendre hommage à toutes les femmes qui,
depuis plus d'un siècle, n'ont cessé de manifester pour défendre nos droits, de
Copenhague à Oslo, de Berlin à New-York, de Londres à Saint-Pétersbourg, pour
jeter les bases de notre journée, officialisée par les Nations-Unies le 8 mars
1977.
N'y voir qu'un geste commercial serait sans
doute se fourvoyer lourdement car une petite enquête réalisée lors de mon
séjour en France auprès de plusieurs librairies m'a prouvé que si la Saint Valentin, hyper médiatisée, remplissait les gondoles de
livres et de babioles rococo, la journée de la femme, en revanche, ne
mobilisait pas les éditeurs et encore moins les hommes, car cette journée, on
le sait, « c'est qu'une histoire de femmes » !
Iwacu a rendu hommage aux femmes et va leur
dédier, dans son mensuel, ces quatre pages littéraires. Si nous y glissons
quelques citations masculines à fort relent machiste, ne vous y méprenez pas,
c'est pour mieux affûter nos réponses, car oui, nous savons lire, écrire,
penser et même réfléchir, n'en déplaise à Freud qui écrivait en 1908 que «l'infériorité
intellectuelle de tant de femmes, qui est une réalité indiscutable, doit être attribuée à l'inhibition de la pensée, inhibition requise par la répression
sexuelle». Ben voyons ! Et si certaines
citations font sourire d'autres, en revanche, nous font frémir et réveillent en
nous, notre côté suffragette.
Dans cette édition, donc, des femmes invitées
pour vous parler de littérature car qui peut mieux parler et écrire sur les femmes qu'elles-mêmes. Ainsi, nous allons à
la rencontre de Ketty Nivyabandi Bikura, poétesse burundaise, qui nous décrit
dans un très beau texte intitulé «La marche aux urnes», la détermination
silencieuse des femmes en quête de liberté.
Une journée par an pour nous peut paraître
bien ridicule au vu du rôle primordial que nous jouons dans toutes les sociétés, mais tant que notre supériorité ne
sera pas universellement reconnue, nous aurons hélas, encore besoin de la
célébrer.
...Février 2012
Regards croisés
Un romancier Québécois raconte le génocide du Rwanda, un
écrivain Burundais devenu Canadien relate son parcours littéraire et sa vie au
Canada et une auteure Congolaise écrit, à partir de Montréal, ses souvenirs de
Kin la Belle et Bukavu. Trois auteurs, trois pays, trois destins, trois regards
et une passion : l'écriture.
Gil Courtemanche, Melchior Mbonimpa et Bibish Mumbu
partagent en commun une terre d'Afrique traumatisée par son passé et le Canada,
un grand pays démocratique, où les frontières s'ouvrent encore pour offrir
hospitalité et convivialité à ceux qui ont dû, bon gré mal gré, quitter leur
terre natale. Les trois invités de ce mois écrivent certes, mais, grâce à leurs
itinéraires personnels, ils nous apportent un regard croisé qui va de l'Afrique
des Grands Lacs au Canada.
Ainsi, alors que Melchior Mbonimpa obligé de quitter le
Burundi consacre à ce pays qui ne cesse de l'habiter, une grande partie de son
œuvre littéraire, Courtemanche, romancier-journaliste, nous décrit dans un très
beau roman la folie meurtrière de Kigali dont il fut témoin. Quant à Bibish
Mumbu qui a quitté le Congo pour suivre l'amour, elle nous conte avec sourire
et mélancolie son insertion dans un pays où les hivers ressemblent à
l'éternité.
Chacun a son histoire qu'il raconte avec ses mots et sa
passion car l'écriture est le reflet de l'âme. Elle accapare, oriente et donne
un sens à la vie à travers des personnages et des périples confus. Elle s'impose
pour exprimer avec force des sentiments de solitude, de souffrance, de révolte
et de joie. L'écriture est universelle certes et ces trois romanciers qui nous
promènent d'un continent à l'autre le corroborent parfaitement. Mais, dans un
monde qui tend à se fissurer dangereusement ne devient-elle pas aussi un
merveilleux outil thérapeutique qui permet non seulement de nous apaiser mais
aussi de retrouver et de sublimer ce que le réel tend à nous dérober ?
...Janvier 2012
Devenons votre GPS littéraire !
Cette expression, empruntée à une fervente lectrice de
magazines littéraires, pourrait faire bondir les puristes de la langue
française. Pourtant, elle s'adapte parfaitement aux ambitions que nous
poursuivons chaque mois, celles de vous guider dans vos choix littéraires, de
vous faire découvrir des écrivains d'ici et d'ailleurs, et de vous inviter à la
flânerie en compagnie de livres.
Bien sûr, nous ne souhaitons pas rivaliser avec les
magazines spécialisés, mais nous nous efforcerons toutefois, avec ces quatre
pages mensuelles, de vous offrir un aperçu de l'actualité littéraire dans les
trois pays francophones que nous allons couvrir, le Burundi, le Rwanda et la
RDC. Et, comme la littérature ne saurait être circonscrite à ces trois pays,
nous vous réserverons une page internationale.
Vous voyez, Iwacu évolue. Et, fidèle à sa ligne
éditoriale, notre mensuel va aller loin, toujours plus loin, en alliant des
thèmes sérieux à des textes plus légers. Chaque mois vous découvrirez des
invités dans les trois rubriques que nous avons prévues : « le
portrait du mois », la « découverte » d'un écrivain et
« les mots pour le dire » où la parole sera donnée à des
artistes, des poètes, des romanciers, des dramaturges, des journalistes, à tous
les intellectuels soucieux de partager avec nous les expériences vécues dans
leur pays.
La quatrième page, celle destinée à vous faire voyager,
nous la voulons ludique, informative et diversifiée. Ainsi, outre les romans
« coups de cœur » que nous vous présenterons, nous agrémenterons
cette page de citations, de petites phrases sibyllines qui font sourire et de
brèves, pour que, même à des milliers de kilomètres des pays qui font
l'actualité littéraire avec les prix prestigieux qu'ils décernent chaque année,
nous puissions, ici, au Burundi, suivre l'actualité à défaut de pouvoir la
devancer.
Notre désir le plus ardent est de vous inviter à nous
rejoindre dans le monde de la littérature, de tisser avec vous un immense
réseau de lecteurs car « Lire ne sert pas à apprendre, lire sert à lire,
tout simplement, pour le plaisir ».
Interview avec Melchior Mbonimpa, Burundais
Conteur et romancier, Melchior
Mbonimpa, Burundais devenu Canadien, a quitté son pays depuis plusieurs
décennies. Aujourd'hui, Professeur à l'université de Sudbury à quelques huit
cents kilomètres de Montréal, il enseigne les grandes religions du monde. La
carrière littéraire qu'il mène parallèlement lui a valu plusieurs distinctions
dont le prix Trillium en 2001 pour son roman La terre sans mal.
Toujours profondément attaché à son
pays d'origine malgré les longues années passées à l'étranger, il promène
parfois sur le Burundi, un regard chargé de rêve et d'utopie car s'il est vrai
qu'il a dû fuir son pays, le Burundi, en revanche, n'est jamais sorti de lui
Pour ceux qui ne vous connaîtraient pas, vous êtes philosophe, conteur, romancier,
théologien, professeur à l'Université de Subdury au Canada ?
Oui, tout cela est exact. Mais,
paradoxalement, j’ai très peu d’occasions de pratiquer la philosophie et la
théologie. Je travaille dans un département de « sciences
religieuses » et j’enseigne principalement les grandes religions du monde
(Judaïsme, christianisme, islam, hindouisme, bouddhisme…). Ce n’est pas de la
théologie, car celle-ci se concentre sur l’étude d’une religion précise tandis
que mon travail consiste à étudier le phénomène religieux en ses manifestations
majeures dans l’histoire de l’humanité. Je n’ai pas non plus publié beaucoup
d’œuvres savantes en philosophie ou en théologie. J’ai surtout profité de «la
liberté académique» pour publier sur l’histoire immédiate de l’Afrique,
particulièrement de l’Afrique des Grands Lacs.
Devient-on philosophe ou théologien quand on quitte son pays et que l'on cesse
d'être acteur pour devenir observateur ?
Dans mon cas, la réponse est très
simple. Je voulais devenir jésuite, et les prêtres catholiques doivent être
formés dans ces deux disciplines. Mes supérieurs voulaient faire de moi un
professeur de philosophie. Raison pour laquelle ils m’ont poussé à terminer le
doctorat en philosophie avant de commencer la théologie. Mais, pendant que je
faisais ma maîtrise en théologie à l’Université de Montréal, un désaccord avec
mes supérieurs a provoqué ma réorientation, et je n’ai pas été ordonné prêtre.
Cependant, je n’ai pas interrompu mes études de théologie. J’ai terminé mon
doctorat en cette discipline parce que ça me passionnait, mais aussi pour
mettre le maximum de chances de mon côté sur le marché du travail. Ici, pour un
immigrant, l’un des atouts pour décrocher un emploi est « l’expérience
canadienne ».
Certains de vos romans et essais sont très imprégnés de votre pays d'origine,
est-ce à dire que vous avez toujours la nostalgie du Burundi ?
La nostalgie, elle est réelle, comme
chez la plupart des expatriés. J’ai été forcé de sortir de mon pays, mais mon
pays n’est jamais sorti de moi. Cela dit, la plupart de mes ouvrages ne portent
pas exclusivement sur le Burundi. Je parle beaucoup plus de l’ensemble de
l’Afrique des Grands Lacs.
« Tout
écrivain s'inspire de ce qui l'entoure »
Auriez-vous pu écrire ainsi si vous n'aviez pas quitté votre pays ?
Non! D’abord parce que ce n’était pas
un pays où la liberté d’expression se portait comme un charme. Ensuite parce
que mon expérience aurait été totalement différente.
La littérature rwandaise et burundaise est très marquée par les génocides.
Est-ce un bien ou un mal nécessaire ?
Ce n’est ni un bien, ni un mal
nécessaire. C’est simplement ainsi! La littérature se nourrit de l’expérience.
Tout écrivain tente d’avoir un retentissement sur son époque et sa société.
Tout écrivain s’inspire de ce qui l’entoure.
Quelles lectures ont été déterminantes pour vous ?
Cela dépend des secteurs de mes
diverses spécialisations. En philosophie, les auteurs qui m’ont le plus marqué
sont Marx et un philosophe camerounais encore en vie, Fabien Eboussi Boulaga.
Ce dernier m’a également influencé en théologie. En ce qui concerne l’Afrique
des Grands Lacs, c’est surtout les livres d’histoire et l’actualité qui ont eu
un impact majeur sur ma pensée et mes prises de position. Dans le domaine de la
littérature, je vois deux romanciers anglophones qui ont publié d’immenses
romans historiques et qui m’ont beaucoup stimulé : l’américain James A.
Michener, et l’australienne Colleen McCullough.
Vous sentez-vous investi d'une mission particulière ?
Non, je ne me sens pas investi d’une
mission providentielle. Par contre, je suis conscient que j’ai bénéficié
d’innombrables «chances» qui m’imposent un devoir de gratitude envers
l’humanité, et un désir de faire mon possible pour payer une petite partie de
cette dette exorbitante.
Pensez-vous que la littérature peut changer une société ? Et la
religion ?
La littérature, comme l’art en
général, peut et doit changer la société. Aimé Césaire disait que «les poèmes
sont des armes miraculeuses». La littérature construit des digues contre la
laideur et la barbarie du monde. Quant à la religion, c’est évident que,
dépendant des circonstances, elle peut faire émerger ce que l’humanité a de
meilleur (Gandhi, Martin Luther King, Mère Teresa…), mais aussi ce qu’elle a de
pire (persécutions, guerres de religion…)
Quels sont les conseils que vous pourriez prodiguer à de jeunes écrivains
et plus particulièrement à ceux de la région des grands lacs ?
D’abord, pour ceux d’entre eux qui ne
le savent pas encore, je leur dirais de ne pas se faire d’illusion : dans le
monde, il y a très très peu d’écrivains qui vivent de leur plume. Ensuite, je
leur souhaite d’avoir beaucoup de courage, car, selon moi, dans le contexte
actuel de la région, un écrivain qui se respecte ne peut être qu’engagé. Et la
conséquence immédiate est celle-ci : si, dans vos écrits, vous vous
exprimez et prenez position sur des questions délicates, quelqu’un écrira
contre vous! Il faut s’y attendre. Le courage est aussi nécessaire sur un autre
point : partout, même en Occident, le nombre de manuscrits rejetés par les
éditeurs est de loin supérieur à celui des manuscrits retenus pour publication.
« ce
serait dangereux de réserver le droit de parole uniquement à ceux qui sont
physiquement présents »
Vous êtes très impliqué par ce qu'il se passe au Burundi, vous lisez chaque
jour la presse et pourtant vous êtes devenu citoyen canadien. N'est‑ce pas contradictoire ?
Ce n’est pas contradictoire d’être
citoyen canadien et de se préoccuper de ce qui se passe en Afrique des Grands
Lacs et au Burundi en particulier. Je m’exprime aussi sur ce qui se passe dans
beaucoup d’autres provinces de l’humanité : en Palestine, en Afghanistan,
en Iran, en Afrique du Sud. Selon moi, ce
serait dangereux de réserver le droit de parole uniquement à ceux qui sont
physiquement présents dans le pays ou dans la région : ils sont
souvent immergés dans les événements qui leur dérobent une partie du jeu qui se
trame. Un autre son de cloche n’est donc jamais de trop.
Vous avez choisi le Canada comme pays d'adoption alors que d'autres compatriotes
ont choisi des destinations moins lointaines telles que la France et la Belgique.
Était-ce une façon de mettre encore plus de distance entre vous et votre pays
d'origine ?
À vrai dire, je n’ai pas choisi le
Canada comme pays d’adoption. J’y ai été envoyé pour les études. Je ne pensais
pas que j’y resterais, et, curieusement, ce sont des amis canadiens qui m’ont
convaincu de faire une demande de résidence après avoir vu à la télévision les
images insoutenables des massacres de Ntega et Marangara. Et ces mêmes amis
m’ont accordé un appui multiforme dans le processus menant à l’obtention de la
citoyenneté. Ce fut l’une des « innombrables chances » dont j’ai
parlé plus haut.
Que pensez-vous de tous ces cerveaux qui ont quitté le pays et qui manquent
aujourd'hui cruellement au développement du Burundi ?
Certains de ces cerveaux savent qu’on
les aurait empêchés de fonctionner s’ils n’avaient pas quitté le Burundi. Par
ailleurs, le marché de l’emploi au Burundi ne pourrait pas absorber tous les
cerveaux qui rêvent d’un emploi de type traditionnel, généralement dans la
fonction publique. Enfin, beaucoup de ces cerveaux participent activement, et
de mille façons, au développement du Burundi. Globalement donc, les cerveaux
qui sont hors du pays ne constituent pas une perte, mais un gros avantage pour
le Burundi.
« Je porte sur le Burundi un regard chargé de rêve et d'utopie »
Qu'est‑ ce qui vous manque le plus quand vous pensez au Burundi ?
Ce qui me manque le plus, c’est
d’abord ma mère, puis la famille en général, les amis, ensuite le climat très
clément, la beauté du paysage natal, la nourriture…
Quel regard portez-vous sur le Burundi d'aujourd'hui ?
Un regard chargé de rêves et d’utopie.
Un regard allumé par une espérance rebelle. Cela ne veut pas dire que je suis
aveuglé par l’illusion. Le chemin parcouru dans la lutte pour la paix n’est pas
quantité négligeable, n’en déplaise à ceux qui soutiennent que le pays n’a fait
que régresser. Mais la longue et pénible marche doit se poursuivre. L’illusion
serait d’exiger la réconciliation totale tout de suite. Une telle exigence ne
peut qu’enfermer dans la déception, dans la mélancolie, dans l’impuissance. La
réconciliation définitive n’aura jamais lieu en pleine histoire. Chaque
génération doit savoir qu’elle est appelée à suer pour ne pas perdre les positions
conquises de haute lutte, et pour faire un petit pas vers plus de liberté, plus
d’humanité, plus de fraternité que la génération précédente.
Quels sont vos projets ?
Revoir mon pays d’origine aussi
souvent que possible pendant le temps qu’il me reste à vivre, et peut-être, y
finir mes jours sans craindre l’hiver. Publier encore pour que mon cerveau
reste actif, et peut-être utile à mes lecteurs. Consacrer assez de temps à mes
petits-enfants quand j’en aurai.
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