Nouvelle
Véronique
Ahyi-Hoesle
Les
signaux lumineux clignotent, les passagers bouclent leur ceinture de
sécurité dans une synchronisation parfaite, et la chef de cabine,
de sa voix de guimauve, souhaite la bienvenue sur le vol Paris-Dakar.
Le départ est imminent. Assise dans la toute première rangée, les
yeux mi-clos, Chloé se laisse aller à la rêverie. Le Sénégal ! À
25 ans, elle va tenir la promesse qu’elle s’est faite à la mort
de ses parents, survenue dans un accident de voiture une nuit
glaciale de décembre, alors qu’elle n’était encore qu’une
adolescente. Elle deviendra médecin et mettra ses compétences au
service de la population, loin de chez elle, là-bas où les gens
démunis de tout, gardent encore le sourire. Les minutes s’écoulent
et le silence interrompt la rêverie de la jeune femme. Étrange,
pense-t-elle, les réacteurs sont muets et les hôtesses figées
comme des cierges dans les deux allées latérales. Soudain, des
hurlements retentissent à l’arrière de l’appareil. Des
hurlements déchirants, des hurlements qui vous font froid dans le
dos, des hurlements inhumains. Les passagers échangent des regards
inquiets. Des rumeurs insensées se propagent et les interrogations
fusent de toutes parts. Une hôtesse, dépassée par les événements,
se hâte vers le cockpit et revient accompagnée du commandant de
bord qui, dans sa précipitation, en a oublié sa casquette. Les
curieux se tortillent, s’entortillent, se détortillent sur leur
siège, allongent leur cou pour ne rien perdre du raffut, alors que
les plus fouineurs, à la recherche du scoop, ont enlevé leur
ceinture et se sont installés à califourchon sur leur siège. Mais
que se passe-t-il enfin, s’interroge Chloé bouleversée par ces
cris récurrents et, pour ne pas faillir au serment d’Hippocrate
qu’elle a récemment prononcé, s’apprête à saisir sa trousse
médicale dans le coffre à bagages, quand la grosse main de son
voisin s’abat sur son avant-bras. « Du calme, jeune fille.
Y’a rien de grave. Personne n’est malade dans cet avion. Dès que
nous aurons décollé tout va rentrer dans l’ordre. C’est
toujours la même chose ! » Freinée dans son élan, Chloé
le regarde dubitative: « Que voulez-vous dire ? »,
s’étonne-t-elle. « Croyez- moi, vous verrez »,
répond-il avec un sourire, puis, estimant le débat clos, replace
ses écouteurs sur les oreilles, sélectionne un nouveau morceau de
musique sur son iPod et replonge dans son attitude d’autiste. À
l’arrière de l’avion, les esprits s’échauffent. Les cris sont
bientôt étouffés par les invectives des passagers et des doigts
accusateurs se pointent en direction des trois sièges qui jouxtent
les toilettes. Le commandant de bord, après s’être assuré
qu’aucun passager ne nécessitait d’évacuation sanitaire,
reprend les choses en main, tance les plus belliqueux et, exaspéré,
s’en retourne à son cockpit. « Nous avons perdu assez de
temps ! », lance-t-il. Nous partons maintenant.
Chacun
réajuste sa ceinture, une hôtesse énonce les consignes de
sécurité. Le silence se fait. Les lumières s’éteignent. L’avion
roule lentement. Il se place en bout de piste prêt au décollage.
Les réacteurs rugissent. Il s’envole. Chloé, rattrapée par une
impitoyable réalité, regarde au loin par le hublot. À l’arrière
de l’appareil, une femme, un foulard multicolore noué négligemment
sur la tête, est assise menottée entre deux policiers en civil. Et
elle pleure.
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