samedi 21 avril 2012

RÊVE BRISÉ


Nouvelle
Véronique Ahyi-Hoesle

Les signaux lumineux clignotent, les passagers bouclent leur ceinture de sécurité dans une synchronisation parfaite, et la chef de cabine, de sa voix de guimauve, souhaite la bienvenue sur le vol Paris-Dakar. Le départ est imminent. Assise dans la toute première rangée, les yeux mi-clos, Chloé se laisse aller à la rêverie. Le Sénégal ! À 25 ans, elle va tenir la promesse qu’elle s’est faite à la mort de ses parents, survenue dans un accident de voiture une nuit glaciale de décembre, alors qu’elle n’était encore qu’une adolescente. Elle deviendra médecin et mettra ses compétences au service de la population, loin de chez elle, là-bas où les gens démunis de tout, gardent encore le sourire. Les minutes s’écoulent et le silence interrompt la rêverie de la jeune femme. Étrange, pense-t-elle, les réacteurs sont muets et les hôtesses figées comme des cierges dans les deux allées latérales. Soudain, des hurlements retentissent à l’arrière de l’appareil. Des hurlements déchirants, des hurlements qui vous font froid dans le dos, des hurlements inhumains. Les passagers échangent des regards inquiets. Des rumeurs insensées se propagent et les interrogations fusent de toutes parts. Une hôtesse, dépassée par les événements, se hâte vers le cockpit et revient accompagnée du commandant de bord qui, dans sa précipitation, en a oublié sa casquette. Les curieux se tortillent, s’entortillent, se détortillent sur leur siège, allongent leur cou pour ne rien perdre du raffut, alors que les plus fouineurs, à la recherche du scoop, ont enlevé leur ceinture et se sont installés à califourchon sur leur siège. Mais que se passe-t-il enfin, s’interroge Chloé bouleversée par ces cris récurrents et, pour ne pas faillir au serment d’Hippocrate qu’elle a récemment prononcé, s’apprête à saisir sa trousse médicale dans le coffre à bagages, quand la grosse main de son voisin s’abat sur son avant-bras. « Du calme, jeune fille. Y’a rien de grave. Personne n’est malade dans cet avion. Dès que nous aurons décollé tout va rentrer dans l’ordre. C’est toujours la même chose ! » Freinée dans son élan, Chloé le regarde dubitative: « Que voulez-vous dire ? », s’étonne-t-elle. « Croyez- moi, vous verrez », répond-il avec un sourire, puis, estimant le débat clos, replace ses écouteurs sur les oreilles, sélectionne un nouveau morceau de musique sur son iPod et replonge dans son attitude d’autiste. À l’arrière de l’avion, les esprits s’échauffent. Les cris sont bientôt étouffés par les invectives des passagers et des doigts accusateurs se pointent en direction des trois sièges qui jouxtent les toilettes. Le commandant de bord, après s’être assuré qu’aucun passager ne nécessitait d’évacuation sanitaire, reprend les choses en main, tance les plus belliqueux et, exaspéré, s’en retourne à son cockpit. « Nous avons perdu assez de temps ! », lance-t-il. Nous partons maintenant.

Chacun réajuste sa ceinture, une hôtesse énonce les consignes de sécurité. Le silence se fait. Les lumières s’éteignent. L’avion roule lentement. Il se place en bout de piste prêt au décollage. Les réacteurs rugissent. Il s’envole. Chloé, rattrapée par une impitoyable réalité, regarde au loin par le hublot. À l’arrière de l’appareil, une femme, un foulard multicolore noué négligemment sur la tête, est assise menottée entre deux policiers en civil. Et elle pleure.

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